La commune et son patrimoine un point fort


Façade d'entrée

L'ABRI INFIRMERIE


L’abri infirmerie type R 638 modifié de la porte Vauban

En mars 1942, Hitler décrète la construction d’une ligne de fortifications allant du cap Nord en Norvège jusqu’à la frontière franco-espagnole, ce sera l’Atlantikwall, le Mur de l’Atlantique prolongé à partir de fin 1942 par le Südwall qui, tout le long de la Méditerranée, ira de la frontière franco-espagnole jusqu’à la frontière franco-italienne.

A Belle-Ile, codée par les Allemands « I » pour Insel (île en allemand), l’Organisation Todt, sous le contrôle de la Kriegsmarine, va construire plusieurs dizaines de points de défense destinés à empêcher tout débarquement dans l’île.
Ces points de défense sont scindés en deux groupes : les Wn, abréviation du mot allemand Widerstandnest (nid de résistance), points de défense de faible taille, et les Stp, abréviation du mot Stützpunkt (point d’appui), points de défense plus importants par la taille ou l’armement.

Les constructions implantées à Belle-Ile sont réalisées en deux tranches : la première conçue entre septembre 1942 et fin 1943 comprend les points de défense codés « I 300 » à « I 325 », la seconde réalisée à partir de janvier 1944 comprend les points de défense codés « I 326 » à « I 338 », mais aussi les annexes de points déjà construits et reprenant le même numéro suivi des lettres « a » ou « b ».
Ainsi, l’enceinte urbaine, le port et la ville de Palais prennent en 1943 le code « Wn I 301 » ; la porte Vauban, près de laquelle on prévoit, dès 1943, la construction d’un abri infirmerie, prendra donc en 1944 le code « Wn I 301a ».

Fin 1943, les Allemands percent un trou dans le fronton de la porte Vauban côté ville, cet orifice servira à implanter une mitrailleuse prenant en enfilade toute la rue des Ormeaux (aujourd’hui rue Carnot) jusqu’au port. Pas besoin de béton pour cette défense protégée naturellement par l’épaisseur des murs de la porte Vauban. L’accès interne à cette casemate improvisée a été obturée après guerre.
Derrière le mur d’enceinte, commence également en décembre 1943 la construction d’un abri infirmerie référencé au catalogue de l’Organisation Todt sous le code R 638. Cette construction est prévue pour abriter 20 malades ou blessés et comprend un sas d’accès, une salle d’examen contenant un des deux systèmes de ventilation, une salle d’opération, deux chambres pour chacune 10 blessés ou malades, une pièce contenant la chaudière, le second système de ventilation et une pièce pour l’officier médecin et deux infirmiers.
L’aspect extérieur de la construction fait apparaitre des parpaings en ciment. En effet, à cette date, les Allemands ont tellement prélevé de bois le long des côtes pour implanter les « asperges de Rommel » et pour faire les coffrages de leurs constructions en béton, qu’ils sont face à une pénurie de bois. Un officier du Génie invente alors le coffrage en parpaings perdus.
On pose deux rangées de demi-parpaings entre lesquels on installe le ferraillage, puis on peut couler le béton. Le bois n’est alors plus employé que pour le coffrage des emplacements de portes, des créneaux de défense et pour le passage des canalisations (air, eau, électricité, téléphone). Les parpaings utilisés sont laissés, ce qui donne aujourd’hui encore cet aspect à la construction, mais ne nous y trompons pas, derrière les parpaings, il y a deux mètres d’épaisseur de béton armé !
Le plafond, renforcé par des poutrelles d’acier, fait également deux mètres d’épaisseur et le radier (le plancher) 1,80 mètre d’épaisseur. Dans les angles du toit, l’épaisseur du béton armé dépasse 3 mètres.
La construction de cet abri a nécessité une fouille de 1 700 m3 de terre, 960 m3 de béton ont été coulés, le poids des fers à béton utilisés est de 46 tonnes et les poutrelles d’acier renforçant le plafond représentent 17, 6 tonnes.
A l’intérieur, toutes les portes blindées sont étanches aux gaz, chaque porte d’accès du type 488P2 pèse à elle seule 680 kg.
Dans la plus petite pièce se trouve un des systèmes de ventilation électro-manuel permettant d’avoir en permanence de l’air frais sous pression et filtré (en cas d’attaque au gaz), la pièce comporte également une chaudière bois/charbon permettant le chauffage des chambrées et une douche.
Dans les chambres pour malades, on trouve cinq lits superposés deux par deux ou trois par trois, deux armoires, une table et dix tabourets pliants. Des étagères servent à déposer casques et masques à gaz. Les armes sont suspendues dans un râtelier mural. Une armoire fermée à clef sert à entreposer les médicaments.
La salle d’examen comprend plusieurs armoires pour instruments et médicaments et un second système de ventilation électro-manuel, tandis que la salle d’opération, puissamment éclairée comporte en son centre une table d’opération.
Dans une des deux entrées, on trouve généralement une douche et dans le sas d’accès deux recoins fermés chacun par une petite porte en bois recèlent deux seaux hygiéniques servant de W.C., on trouve également un lavabo près d’une des deux portes d’entrée.
La défense de l’infirmerie est assurée par un tobrouk extérieur pour mitrailleuse (situé à droite ou à gauche de la construction) et par deux créneaux internes pour mitrailleuses situés l’un dans la pièce servant de chaufferie, l’autre dans la pièce de l’officier et des infirmiers. Ces deux créneaux sont blindés et peuvent être fermés par un petit volet d’acier à glissière, ils prennent les deux entrées en enfilade. Les créneaux blindés sont du modèle 483P2 et pèsent chacun 200 kg, une partie du blindage de protection étant noyé dans le béton armé.
Des créneaux de défense plus petits sont également pratiqués dans les vantaux des portes blindées d’accès, outre une défense supplémentaire interne, ils permettent, s’ils sont ouverts, une meilleure aération des lieux (sauf en cas d’attaque aux gaz où ils sont maintenus fermés).
L’abri infirmerie n’est pas enterré afin de faciliter l’accès des brancardiers et, pour cette même raison, les murs des accès son biseautés et les portes blindés d’accès d’un modèle plus large que dans les autres abris.
Les portes blindées internes, nettement moins épaisses, sont destinées à parer aux effets de souffle, outre les portes d’entrée, on trouve normalement deux types de portes blindées dans les abris R 638 : quatre grosses portes coulissantes modèle 724P3 pesant chacune 400 kilos, étanches aux gaz, deux petites portes de communication modèle 59P8, étanches aux gaz et pesant chacune 200 kg. Une porte blindée modèle 729P3 était prévue entre le sas d’entrée et la salle d’examen, mais, à Belle-Ile, cette porte n’a jamais été posée.
A l’extérieur, deux croix rouges sur fonds blancs indiquent le caractère particulier de cet abri.
Sur les parois des deux accès, le sigle « St » abréviation de « Ständig » est peint, il indique à la troupe, en cas d’attaque, que la construction résiste à l’épreuve des bombardements lourds et peut servir de refuge ; il signale également que l’abri doit être gardé en permanence, d’où la présence du tobrouk extérieur.
A l’intérieur de l’abri, un cercle rouge est peint sur chaque porte blindée, c’est un signe indiquant aux soldats qu’en cas d’attaque aux gaz, les portes doivent être maintenues fermées.

L’abri R 638 de la porte Vauban est rare car il a subi une modification lors de sa construction : la cloison séparant la chambre de droite de la pièce réservée au médecin et aux infirmiers, n’a pas été installée, augmentant la capacité de réception des patients (une chambre pour l’officier médecin était prévue au réduit B, à quelques centaines de mètres de la porte Vauban).

Selon les témoignages de Bellilois, l’abri infirmerie a servi deux fois pendant la période de la « Poche de Lorient » (août 1944 – mai 1945).
Lors de l’attaque de deux bateaux ancrés près de Ramonette, par deux Mosquitos anglais et
lors du mitraillage de bateaux ramenant à Belle-Ile des blessés allemands en provenance du front de la poche de Lorient, le nombre de blessés ramenés fut si important que l’abri ne désemplit pas et que le sang des opérés coulait jusque dans la tranchée d’accès (selon le témoignage de deux habitants de Belle-Ile).
En décembre 1944, une jeune fille de Belle-Ile, Jeannine Lamache, fut prise d’une crise d’appendicite, elle fut sauvée par l’intervention du médecin militaire allemand Cremer qui l’opéra avec succès dans l’abri infirmerie.
Pour le remercier d’avoir sauvé leur fille, les parents offrirent à l’officier un cadeau rarissime à cette époque : un poulet !

Après guerre, l’abri a été habité par une famille Belliloises, de 1949 jusqu’à 1964, puis par une seconde famille dans les années 1970.

En 2012, la municipalité de Palais a commencé, avec l’aide de bénévoles, le nettoyage et le « sauvetage » de ce rare abri, vestige d’une période douloureuse, mais faisant partie du patrimoine militaire et de l’histoire de Belle-Ile.

Société Historique de Belle-Ile en mer. Jacques Tomine juin 2014.







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